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Eye on Arts
21.12.04
 
Les petites déesses de Suse
Contributed by Charles T. Downey at 9:15 AM | Link to this article
Anne-Marie Romero, Les petites déesses de Suse (Le Figaro, December 21)
Elles sont minuscules, elles tiennent dans la main, depuis les plus primitives, simples silhouettes de terre pincée pour marquer la tête et les bras, jusqu'aux plus sophistiquées, nues, parées de bijoux et coiffées d'extravagants chignons. «Elles», car les hommes ne représentent qu'une infime partie de ces figurines humaines qui totalisent elles-mêmes à peine 1% de tou tes les terres cuites retrouvées dans la Suse antique, capitale d'un mouvant territoire entre Iran et Mésopotamie, appelé Elam.

Annie Philippon, directrice du Musée Fenaille, à Rodez, célèbre pour ses statues-menhirs, ses statues gauloises et son bouleversant Christ en croix de la Renaissance, a choisi de continuer à illustrer ce qui semble être la vocation de son établissement, l'image humaine. Elle a demandé à Annie Caubet, conservateur général du département des Antiquités orientales au Louvre, de monter cette exposition, avec des pièces exclusivement prêtées par le grand musée parisien. D'autres suivront, Chypre, peut-être le Levant.

L'Elam se situe au pied des monts Zagros, à l'orée de la grande plaine mésopotamienne avec laquelle elle a, à plusieurs reprises, partagé son sort. Son art évolue donc, au cours des temps protohistoriques entre celui de Sumer et une inspiration plus lointaine venue de Perse. L'exposition, chronologique, commence avec la création de Suse, vers 4200 avant J.-C. pour s'achever avec la période sassanide puis précède l'arrivée de l'Islam. «Dieu a créé l'Homme en modelant l'argile et l'Homme a tout naturellement fait la même chose pour créer les représentations de ses dieux», dit Mme Philippon, allusion au plus vieux mythe de tout le Proche-Orient. Car, à n'en pas douter, nous nous trouvons, avec ces petits personnages, en présence de divinités ou d'orants. Quoi qu'il en soit, dans un contexte religieux, que confirment les caractères sexuels très marqués de ces divinités de la fécondité. Pres que toujours nues, on a rapporté des pastilles de terre pour marquer les seins, on a incisé le triangle pubien ou on l'a évoqué par de petites cupules en forme de bouclettes. Et de plus récentes, datées du IIe millénaire, sont en forme de violoncelle, avec des cuisses monstrueusement développées, encore un signe traditionnel de la fécondité.

A travers l'exposition, on suit l'évolution de cet art modeste, trouvé dans des contextes funéraires ou près des temples, depuis les premières statues cobras, dont la tête s'avance comme celle du serpent, datées du IVe millénaire, jusqu'aux statuettes hellénistiques, lorsque l'Elam et la Mésopotamie étaient unies sous la même domination des Séleucides, après la conquête d'Alexandre. Très vite, ces statuettes cobras, tout en restant frustes, sans jambes marquées, sont parées d'étonnantes coiffures, de chignons remontés comme ceux des geishas retenus par un bandeau qui laisse passer des boucles autour du visage et alignent de nombreux anneaux d'oreilles qui semblent pincés tout autour du lobe. Dans un premier temps, elles ont un bras le long du corps et l'autre replié sous la poitrine, ce qu'on ne retrouve nulle part ailleurs dans la région. Mais l'art élamite se rapprochera de celui de la Mésopotamie à la fin du IIIe millénaire, sous l'empire unifié de Sargon d'Akkad, après une longue période d'absence totale de représentations. On ignore du reste comment se traduisaient pendant ces longs siècles les rites magico-religieux qui reprennent de plus belle pendant l'empire akkadien. Les statuettes sont alors très semblables à celles de la Mésopotamie, avec un buste en triangle, des mains en ailerons ou jointes et toujours une profusion de bijoux.

C'est alors qu'apparaissent les premières représentations d'hommes. Vêtus du kaunakès, le manteau de franges de laine que l'on retrouve dans toute la Mésopotamie, les yeux largement maquillés, le crâne rasé, ce qui évoque le fameux dieu-lune de Babylone, Sin. A cette époque, les statues sont moulées et souvent remodelées après moulage de manière à les asseoir sur un siège dont on rajoute deux petits pieds à l'arrière. D'autres hommes, musiciens, joueurs de luth, coiffés d'un bonnet pointu, sont de pures merveilles de réalisme miniaturisé.

A la fin du IIe millénaire, l'Elam est une grande puissance qui a repris son autonomie. C'est à cette période qu'est apporté à Suse le «butin mésopotamien», dans lequel les archéologues français du XIXe siècle trouveront le code d'Hammourabi. Les statuettes féminines se multiplient, les mains sous les seins, harnachées d'un baudrier et toujours ornées de quantité de bijoux. Des moules fabriquent en série des couples enlacés sur des lits de vannerie d'à peine 10 cm de long. Peut-être s'agit-il de scènes d'hiérogamie, mariage d'un dieu avec une mortelle ?

Sous les Perses, puis les Parthes et enfin les Sassanides qui règnent jusqu'en 638, apparaît, sur les statuettes, la même magnifique glaçure turquoise qui sera celle de la frise des archers de Suse et de Persépolis. Puis ce sera l'Islam et la fin de toute représentation humaine.

Musée Fenaille, Rodez, jusqu'au 27 mars 2005. Tél. : 05.65.73.84.30.

IMAGES: 1, 2, 3


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