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Eye on Arts
18.12.04
 
Quai Branly, naissance d'un musée
Contributed by Charles T. Downey at 1:37 AM | Link to this article
Véronique Prat, Quai Branly, naissance d'un musée (Le Figaro Magazine, December 18):
En plein coeur de Paris, l'immense chantier du quai Branly se transforme peu à peu en musée des Arts premiers. Ouverture prévue en 2006. Sans attendre, dès aujourd'hui dans nos pages, visite du chantier et indiscrétions sur le futur musée.

Au beau milieu du chantier du futur musée, encore à ciel ouvert, une oeuvre d'art est déjà installée. C'est un mégalithe sénégalais en forme de lyre, taillé dans une belle pierre volcanique rouge. Lourde de presque 6 tonnes, haute de 2,40 mètres et large de 1,60 mètre, elle accueillera le public à l'entrée du département des Arts africains dès l'ouverture du musée du quai Branly, début 2006. Pour l'instant, à l'abri dans sa caisse de bois, elle a l'honneur d'être la première pièce des vastes collections à trouver sa place. Et pour cause : son poids et sa taille rendaient impossible son passage par les portes ou les fenêtres du bâtiment après son achèvement ! La voilà donc installée au milieu du chantier tandis qu'autour d'elle on continue à construire le toit et les murs. Petite histoire et grands travaux. Un nouveau musée, c'est toujours un événement, grandiose et émouvant à la fois. Les présidents de la République ponctuent volontiers leur septennat de ces grandes réalisations culturelles : Georges Pompidou a voulu le centre qui porte son nom. Valéry Giscard d'Estaing a attaché le sien au musée d'Orsay. François Mitterrand a désiré le Grand Louvre. Et Jacques Chirac ? On connaît son goût pour les arts dits «premiers». Sur le plan muséographique, le fait majeur de son second septennat sera en effet ce musée du quai Branly dévolu aux arts d'Afrique, d'Océanie, d'Asie et des Amériques.

Entre la Seine et la rue de l'Université, sur deux hectares de terrain à l'ombre de la tour Eiffel, le chantier du futur musée avance à pas de géant, mais dans la discrétion la plus totale : on ne visite pas, on ne photographie pas. L'équipe du musée et son président, Stéphane Martin, ont fait une exception pour nous et il faut bien l'avouer : ce que l'on découvre ici étonne et séduit tout à la fois. On le voit en détail avec les prises de vue de notre photographe Jean-Michel Voge, qui jouent avec la lumière et creusent les contrastes comme le feraient des gravures de Piranèse. Mais d'emblée, dès que l'on pénètre sur le chantier, on est saisi par un sentiment d'harmonie : le bâtiment promet de se couler dans le paysage en épousant la courbe de la Seine qui lui fait face et en se dressant, à faible hauteur, entre deux jardins qui évoquent quelque bois sacré. En plein Paris, cette architecture soucieuse d'écologie est une promesse de bien-être.

En exclusivité dans nos pages, soyez les premiers à arpenter le chantier du musée du quai Branly. Quatorze équipes d'architectes étaient en lice pour ce projet. C'est Jean Nouvel qui l'a emporté devant le duo Fanuele-Eisenman et Renzo Piano. «J'ai voulu, dit Nouvel, un bâtiment qui ne soit pas immédiatement visible, qui ne soit pas un objet qui se montre. Côté quai Branly, il est protégé par une paroi de verre sur laquelle jouent les ombres des arbres. Le bâtiment mesure 200 mètres de long et semble émerger d'un jardin féerique. Perché sur des pilotis, il est pourtant pratiquement invisible pour le piéton, enserré qu'il est de part et d'autre dans les masses végétales.» L'édifice est surmonté d'une terrasse d'où l'on voit, à l'ouest, la tour Eiffel et le Trocadéro, en face, le palais de Tokyo, et qui est bordée par des surfaces d'eau infranchissables jouant le rôle de balustrades. L'énumération des essences végétales qui entourent le musée tient de l'inventaire de Prévert mais ne manque pas de poésie : chênes, érables argentés, lianes géantes, vignes de Chine, glycines et clématites sauvages côté nord ; magnolias, cerisiers à écorce cuivrée, clairière d'épineux et bambous côté sud.

Dernier grand terrain constructible situé au coeur de la capitale, le projet du quai Branly devait affronter deux problèmes majeurs : le respect strict de l'urbanisme environnant et la construction d'un musée des Arts dits «premiers» dont l'architecture se devait d'être aussi légère que possible afin de s'effacer devant les objets exposés : «Un musée, confirme Jean Nouvel, est bien sûr essentiel pour participer à l'éveil des sensibilités et à l'approfondissement des connaissances. Mais un musée des Arts et des Civilisations expose des objets qui ont un sens dans des civilisations encore bien vivantes et qui ne doivent donc pas être perçus comme des trophées. Un musée comme celui du quai Branly ne doit pas être simplement un lieu d'informations didactiques, mais aussi un lieu d'émotion.» Un musée, donc, conçu et construit autour de la collection. Tout est là : ce n'est pas l'architecture qui se montre mais les oeuvres.

Cette collection, quelle est-elle ? Autrement dit, que verra-t-on au musée du quai Branly ? Principalement le regroupement des richesses de deux institutions appelées aujourd'hui à d'autres fonctions : celle de l'ancien Musée national des arts d'Afrique et d'Océanie, à la porte Dorée, et celle du laboratoire d'ethnologie du musée de l'Homme. Les histoires de ces deux institutions sont superbes...

Depuis François Ier, l'habitude s'était prise d'envoyer des émissaires dans les lointaines contrées pour y dénicher ces objets étranges et merveilleux que l'on regroupait dans des «cabinets de curiosités». Les explorateurs, les aventuriers, les administrateurs des colonies accumulèrent eux aussi des trésors dont une partie permit la création, en 1931, du musée des Colonies, qui fut l'ancêtre direct du musée des Arts d'Afrique et d'Océanie dont les 25 000 pièces ont été intégralement reversées au musée du quai Branly. Le musée de l'Homme, lui, ouvrit ses portes en 1938, héritier de l'ancien musée du Trocadéro et de ses collections. Il y avait là de véritables trésors, souvent illustres, mais dont beaucoup croupissaient dans de poussiéreuses réserves : ces 250 000 pièces ont elles aussi été transférées au musée du quai Branly.

Tout cela laisse augurer un musée fort riche et fort beau. Au premier étage, une galerie longue de 150 mètres servira de salle d'exposition permanente aux quatre départements qui correspondent aux quatre grandes aires géographiques auxquelles s'intéresse le musée Branly : Afrique, Amériques, Asie et Océanie (successivement, Océanie-Asie, avec un carrefour Insulinde et un carrefour Machreq-Maghreb, Afrique, Amériques, le visiteur pouvant accéder indépendamment à chacune de ces zones). Chacune d'entre elles se dédoublera en un espace d'exposition où l'on pourra privilégier le regard esthétique sur l'oeuvre et un espace d'information où l'on insistera sur la signification de l'objet présenté, son rôle dans la civilisation d'où il est issu, son contexte, son parcours. Délectation d'un côté, didactisme de l'autre. Il y aura encore deux mezzanines, l'une pour des présentations temporaires et thématiques, l'autre pour des expositions dossiers. Tout cela sera articulé autour du «pavillon de musique», sorte de colonne de verre de 16 mètres de diamètre où seront visibles les 9 000 instruments de musique des collections, un ensemble tout à fait exceptionnel. Autre «curiosité» du musée, qui ne manquera pas de surprendre les futurs visiteurs : encastrées dans la façade nord, face à la Seine, des «boîtes» de tailles variables serviront de «niches» d'exposition : chacune sera consacrée à un thème différent comme la divination, le culte des ancêtres ou les formes du pouvoir. Le coût de ce beau projet (y compris le recensement et la restauration des oeuvres d'art) s'élève à 216 millions d'euros. Le musée Branly en chiffres, ce sont encore 2 000 tonnes d'armatures posées, 500 000 boulons, 300 000 objets d'art dans 6 000 mètres carrés de réserve, une médiathèque de 180 000 volumes et 350 000 photographies... «Au-delà, précise Stéphane Martin, le président-directeur général du musée du quai Branly, en charge du projet depuis ses origines, notre institution apportera à tous ceux qui étaient épris de la beauté du Panthéon la découverte d'un art délivré du fardeau de l'histoire, un art, comme le disait Henry Moore "en réponse directe et immédiate à la vie".» D'objets de curiosité qu'ils étaient aux yeux des Occidentaux, les arts premiers sont aujourd'hui entrés dans le patrimoine universel des formes. Il leur restait encore à rencontrer leur public : ce sera la mission du musée du quai Branly.
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